Entretien avec Damien DELLA SANTA, des préférences motrices à l’apprentissage différenciel


Entretien avec Damien DELLA SANTA, des préférences motrices à l’apprentissage différenciel

1. Peux-tu te présenter en quelques mots (parcours de joueurs, éducateurs)

J’ai 30 ans, et je suis entraineur de football. Au lendemain de la coupe du monde 1998, j’ai découvert le football dans le club à 200 mètres de chez moi, l’Avant-Garde Caennaise (aujourd’hui en N3) où j’ai passé 17 années. J’y ai joué comme gardien de but de 9 à 19 ans des poussins à l’équipe première. Blessé à répétition et conscient de mes limites, j’ai décidé de me lancer très tôt comme entraineur. J’ai débuté à 14 ans comme éducateur des gardiens de but des poussins-benjamins, puis à 16 ans comme responsable des U9 que j’ai gardé 6 ans. A 18 ans, j’ai créé la section féminine du club, que j’ai managé durant 6 années également. C’était un projet fou car nous sommes partis de zéro et 6 ans après, nous avions plus de 100 licenciées et étions champions régionaux dans toutes les catégories. A 22 ans, j’ai effectué un intérim sur l’équipe première du club pour maintenir l’équipe entre février et juin pour permettre au futur (et actuel) entraineur de l’équipe de terminer la saison en tant que joueur comme il était le capitaine de l’équipe. En parallèle, j’ai découvert le monde professionnel au SM CAEN avec Sébastien BANNIER, durant trois ans avec la réserve professionnelle (CFA) puis les U19 Nationaux. Cette expérience fut très formatrice pour moi. Nommé conseiller Principal d’Éducation en Bretagne, j’ai entrainé les U19 et la réserve Sénior, dans un club absolument fantastique, ou j’ai gardé des liens très forts : le CO PACE. Muté dans l’oise, après un court passage à Chantilly comme adjoint de l’équipe première et entraineur de la réserve, j’ai pris à 26 ans les rennes pendant 2 saisons de Chevrières Grandfresnoy, en R2 puis en R1. Actuellement, je suis sans club… 

2. Quels sont tes missions actuelles ?

J’exerce comme consultant pour la société Axel®, ou je développe le département football. Il s’agit de proposer aux clubs professionnels des éléments en fonction de leurs besoins au service de la performance de leur équipe, en appui notamment sur les préférences motrices et cérébrales ActionTypes ®. J’anime également des programmes pour les entraineurs souhaitant se former. 

Pour le reste de mon temps, je suis dans une phase de recherche, où j’y consacre une douzaine d’heures par semaine depuis 2 ans. Je me centre prioritairement sur les attaquants. J’ai la forte conviction que c’est dans ce domaine que la marge de progression est aujourd’hui la plus grande. C’est vrai, lorsque l’on voit que parfois, ne serait-ce qu’un but en plus dans un championnat, cela peut être une place, 1M d’euro de droit télé, une plus-value sur la valeur du joueur… Le ratio frappes / frappes cadrés / but est assez bas et pourrait à mon avis aisément plus élevé avec un type d’entrainement et de management spécifique, sur le modèle de ce qui se fait chez les gardiens de but. Les gardiens font rarement plus d’une grosse erreur par saison, tandis que même les meilleurs joueurs offensifs peuvent aisément manquer 4 ou 5 occasions immanquables dans l’année. Je développe donc sur une méthodologie complète de performance des attaquants en fonction de leur profil moteur et de leurs besoins cognitifs. J’ai analysé les 96 joueurs qui jouaient comme attaquant l’an passé en Ligue 1, et j’ai détecté leur profil et analysé toutes leurs frappes au but sur 1 an et demi. Je fais d’ailleurs partie de la cellule spécifique attaquant à la FFF qui est pilotée par Lionel Rouxel, avec des entraineurs et d’anciens joueurs comme Mickaël Pagis ou Frédéric Piquionne.

Cette saison, j’analyse tous les buts inscrits en Ligue 1 et tous les coups de pieds arrêtés dans la moitié de terrain offensive du championnat, car je suis aussi persuadé que la marge de progression est très grande également sur ce plan.

Par ailleurs, je collabore également avec le magazine Vestiaires. Je suis lecteur depuis le premier numéro, et cela m’a accompagné tout au long de ma formation de coach. C’est toujours un honneur de pouvoir contribuer à la richesse de ce magazine. 

Enfin, je participe à quelques formations de cadres (Formation et recyclages BMF-BEF, recyclages DES, CEGB…). Même si je n’ai pas d’équipe, le foot est toujours beaucoup présent dans mes journées. 

3. Quels sont tes champs d’expertises ? 

Je ne sais pas si je peux me proclamer expert, mais je pense avoir une bonne connaissance tactique. Lors de mon année en Bretagne, je m’étais fixé le challenge de télécharger un match par jour et de l’analyser. J’ai bossé sur presque 300 matchs, et je me suis régalé car il y avait des supers équipes… Le Chelsea de Mourinho, le Bayern de Guardiola, en France on avait Bielsa, Ancelotti, Gourcuff… Ce travail m’a servi pour écrire mon livre sur le projet de jeu. 

J’ai travaillé de 2010 à 2015 sur la périodisation tactique, et je pense bien connaitre ce sujet. J’ai énormément lu, j’ai effectué un stage avec Alain Casanova puis je me suis rendu à l’université de Lisbonne pour approfondir. 

Enfin, j’ai une expertise sur l’application des préférences motrices et cérébrales dans le football. Je suis certifié à l’approche ActionTypes® que j’ai apprise avec Bertrand Théraulaz, en Suisse. Depuis 3 ans, je recherche avec mes collègues d’Axel sur les liens possibles entre les préférences motrices et le football.

4. Peux-tu nous en dire plus sur les préférences motrices ActionTypes® ?

C’est une approche qui a été développée par deux entraineurs de haut niveau en volley-ball – Bertrand Theraulaz et Ralph Hyppolite. Ils ont démontré que pour une même intention, chaque joueur ne réalise pas le même geste. Ils ont ensuite fait 30 années de recherche, pour distinguer 16 profils d’expression motrices, puis en créant des liens entre le physique et le mental.

Dans tous les domaines, les techniques sont créées par un processus de mimétisme des meilleurs. Aujourd’hui, on regarde qui est le meilleur, on l’analyse, et on fait faire cela à tout le monde. Or, appliquer la même technique sur tout le monde pré-suppose que nous soyons tous construits de la même manière. L’approche démontre justement l’inverse, et que l’on peut tous tout réussir, mais pas de la même manière.

Par exemple, les gardiens de but, aujourd’hui il faut « être sur ses appuis », c’est-à-dire sauter sur place avant la frappe et plonger vers l’avant. Pourquoi ? parce que les gardiens considérés comme les tops font comme ça : Neuer, Cech, Courtois, Navas…Mais si l’on regarde parmi les meilleurs gardiens français, Lloris, Mandanda, Costil et Ruffier, lorsqu’ils réalisent des tops arrêts, ils plongent vers l’arrière, c’est-à-dire que les jambes terminent devant les mains… et ils sont des tops gardiens ! Ils performent sur une technique qui n’est autre que l’opposé que ce que l’on enseigne dans les livres… 

Maintenant, beaucoup de gens commencent à connaitre les préférences motrices, et c’est une bonne chose. C’est un outil extrêmement puissant, à condition que l’on ne se trompe pas d’usage. Savoir qu’un joueur est « terrien » ou « aérien », qu’il croise la jambe ou non sur la frappe ou qu’il soit « S » ou « N », on s’en fous ! Les préférences ne sont qu’un outil – certes très puissant – parmi tous les autres outils qui existent dans l’entrainement du football. Mon job, lorsque je travaille avec un club, n’est pas seulement de montrer à un coach que les joueurs sont différents, mais de l’aider à résoudre des problèmes concrets, comme améliorer la défense sur CPA défensifs, remettre en confiance un joueur, développer des skills pour des attaquants ou des tireurs de CPA, lui proposer des outils pour être plus percutant dans sa communication ou pour motiver un joueur….  Bref, l’aider à gagner. Et ce, grâce à ma connaissance des préférences motrices, mais aussi du football. 

J’étudie actuellement l’idée d’écrire un livre accessible à tous pour introduire la notion de préférences motrices dans l’entrainement du football. Affaire à suivre… 

5. Lors d’une conférence à Lyon, tu as parlé de l’apprentissage différenciel utilisé entre autres par Thomas TUCHEL. Que sais-tu de cette « méthode d’apprentissage » ? 

L’apprentissage différentiel est une méthodologie d’entrainement développée par Wolfgang Schöllhorn, Professeur d’université en Allemagne. Il défend l’idée que jamais un geste n’est exécuté de manière strictement identique. Ainsi, pourquoi chercher à fixer un geste pur, alors qu’il ne sera jamais exécuté de la même manière en compétition ? Pourquoi ne pas plutôt entrainer le corps à s’adapter à une infinité de situations différentes ? C’est la philosophie de cette approche qui défend une animation sans correction ni répétitions. Cela présente de vrais avantages notamment sur l’entrainement à haut niveau. Sur le plan tactique, c’est la même chose. Il faut veiller à répéter le processus de création de réponse, et non seulement la réponse…

6. Tu es auteur du livre – construisez votre projet de jeu – Que vont retrouver les lecteurs dans cet ouvrage ? 

L’idée d’ouvrage m’est venue suite à mes expériences de formateur de cadre pour la FFF. Au BMF et au BEF, ce n’est vraiment pas évident pour les stagiaires de formaliser ou d’exprimer leur propre vision du jeu. Or comment peut-on transmettre clairement quelque chose qui n’est pas clair dans notre tête ? Je me suis souvenu que le cours sur la connaissance du jeu au BE avait été un vrai tournant pour moi car il m’a permis de mettre beaucoup d’ordre dans ma tête. Je me suis dit que c’était un beau challenge d’essayer d’écrire un livre et que cela pourrait peut-être aider des éducateurs à cheminer, alors j’ai rencontré Julien Gourbeyre le patron de Vestiaires Magazine qui m’a encouragé dans ce projet. La vocation de ce livre est donc de proposer un guide qui accompagne pas à pas un éducateur dans la formalisation de sa propre vision du football. Dans le livre, il n’y a aucune prescription, seulement une liste de questions à se poser, et des exemples du haut niveau… C’est un livre simple et accessible pour tous, quel que soit le niveau de football au départ. Après, cela n’a pas empêché que plusieurs coaches en L1 le lise et m’en fasse un retour positif. 

7. Pour clôturer cet entretien, quel(s) livre(s) conseillerais-tu aux lecteurs de Entrainement Football Pro ? 

Il y en a plusieurs, mais parmi les livres qui m’ont marqué dans le foot :
Les entraineurs sont-ils entrainés ? de Patrick Chanceaulme, un must have sur le management et la communication.
Le mental en action, de Jean Paul Ancian, qui m’a aidé à résoudre bien des problèmes lorsque j’entrainais les filles.
Il y a les deux livres d’Ancelotti – Mes secrets d’entraineur et L’homme qui murmurait à l’oreille des stars – que je trouve excellents. Le premier donne beaucoup d’éléments football, et le second me conforte dans l’idée qu’on peut manager et réussir à haut niveau sans forcément être un dictateur. 
Les livres de Thibaud LEPLAT : Le cas Mourinhoet L’éloge du Style sur Guardiola

Hors du foot : Les secrets des All Blacks – 15 Leçons de Leadership de James Kerr. Très intéressant sur la performance et le contexte du haut niveau.  Les 7 Habitudes, de Covey… que j’offre à tous mes proches, qui propose vraiment des moyens concrets pour au bout de ses idées et gagner en efficacité. Egalement un Must Have…

Merci à EFP pour votre travail et cette interview 🙂

PS / Damien DELLA SANTA sortira prochainement un livre qui abordera les préférences motrices. Restez connectés !

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